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Portrait: La plume masquée derrière la Biturne de Genève

PortraitLa plume masquée derrière la Biturne de Genève

Anonyme mais bien réel, le PDG et stagiaire en chef du journal parodique du canton se confie sur son amour du point-virgule et sa fascination pour les cartes Pokémon.

À la fois PDG et stagiaire en chef, le créateur de la Biturne de Genève tient à son anonymat.

À la fois PDG et stagiaire en chef, le créateur de la Biturne de Genève tient à son anonymat.

LUCIEN FORTUNATI

«Je porterai un bonnet bleu roi», nous annonce par e-mail celui qui signe ses courriels «Pédégé et stagiaire en chef de la Biturne de Genève». L’énergumène serait-il royaliste? Ou s’agit-il d’une marque de déférence à l’égard de l’inspirante «Tribune de Genève», dont il porterait haut les couleurs à défaut de pouvoir les afficher sur son site internet? Le mystère restera total. «L’homme blanc cisgenre» qui nous rejoint soudain à la table d’un café de Plainpalais tient à préserver son anonymat et ménage sa légende.

Il faut dire que ceux qui connaissent sa double vie se comptent sur les doigts d’une main, voire deux. Cela l’amène parfois à feindre l’étonnement quand un ami lui demande s’il a lu un article qu’il vient de publier et à se marrer intérieurement quand il constate que des connaissances partagent sur les réseaux une de ses brèves bien senties.

Sur le site du journal parodique cantonal, on apprend que le «rédacteur en chef et génie incompris» à la tête du titre se nomme Maurice Blédard et qu’il a 32 ans. Tout est faux, même les initiales. «Ah, et que ce soit dit une bonne fois pour toutes: la Biturne ne fait pas de l’info!»

Parodie et savoir-faire

À l’instar du Gorafi, savante anagramme du «Figaro», et de «The Onion», le site d’informations parodique américain originel, la Biturne de Genève tourne en dérision l’actualité depuis 2020. Mais pour pouvoir être drôle, encore faut-il maîtriser la matière. Notre interlocuteur est-il journaliste? Nullement. Comment s’est-il approprié les codes de la profession? «Sauf votre respect, ce n’est pas très dur à parodier: il suffit d’utiliser le présent narratif et de faire des phrases courtes.»

Soit. Mais le choix des sujets démontre une connaissance fine de l’actualité cantonale, nationale, voire internationale! «Je choisis au petit bonheur la chance, confesse l’intéressé. Tout est souvent fait dans la précipitation: je jette un œil à la «Tribune», la RTS, Watson, Le Matin et je regarde les Top Tweets.»

Il met toutefois un point d’honneur à honorer les grandes dates du calendrier telles que le 1er avril et les élections cantonales. Pour l’occasion, il a présenté les candidats au Grand Conseil sous forme de cartes de «Politikémons» – contraction de «politiques» et «Pokémon» – donnant lieu à nombre de jeux de mots.

Robert Völki (Centre) se voit flanqué de l’attribut «Homme du peuple: d’après son nom (mais pas son taux d’imposition sur le revenu)», Flore Teysseire (PLR), d’un «Glucose: le dresseur qui détient ce Politikémon ressent mieux le goût des sirops». Le fond des portraits des «Vert·e·x·s» (sic) est une centrale nucléaire, la Liste d’union populaire hérite du duo convenu marteau-faucille.

On ne peut plus rien dire?

Comment le lectorat helvétique, somme toute assez peu connu pour son sens de l’humour, accueille-t-il les productions de la Biturne? «Certaines personnes pensent qu’on ne peut plus rien dire. Je n’ai pas du tout cette impression, au contraire, répond son rédacteur en chef du tac au tac. Très peu de gens nous écrivent pour se plaindre. Et puis ils ne sont pas débiles, ils comprennent que c’est de l’humour!»

Cela n’empêche pas quelques frictions. Nous apprenons que Philippe Nantermod (PLR, VS) a par exemple obtenu un droit de réponse suite à un article, auquel il n’a jamais donné suite. «Il m’a laissé en vu», regrette le PDG de la Biturne. Marc Wuarin (Vert’libéraux) rattrape l’affront: lui a repartagé le papier parodique qui lui faisait manger sa belle-mère pour combler son besoin de protéines et lui attribuait, comme promesse de campagne, la gratuité des salles de fitness.

À vendre

Malgré son apparente frivolité, la tête pensante du journal parodique local est férue de politique, sans pour autant être encartée. Notre homme lit même la presse depuis qu’il est au collège. Mais ce qui l’anime vraiment, c’est la littérature. La Biturne de Genève est née du refus d’un de ses manuscrits par une maison d’édition de la place; piqué, son créateur décide de se contraindre à exercer sa plume régulièrement: «Je travaille mes zeugmes, mes métaphores et j’aime particulièrement le point-virgule.»

Probablement surmené – il consacre tout de même deux heures par jour à son titre à raison d’un article quotidien et ce en sus de son activité salariée –, le Genevois parle de son humble personne au pluriel. En «nous» et en «on», à l’envi. Il s’en explique: «Même si j’écris la grande majorité des textes, il y a un autre contributeur. J’ai aussi essayé de recruter un ami pour nous aider, mais il s’est retrouvé à la comptabilité. Sans oublier Masino, notre dessinateur de presse.»

Tout ce petit monde est évidemment bénévole et le site tourne à perte; les frais d’hébergement représentent le triple des revenus publicitaires. «Je suis prêt à revendre mon média à TX Group, sourit notre homme. J’estime le site autour de 4-5 millions, mais tout est négociable.»

Alice Randegger est journaliste rattachée à la cellule numérique de Tamedia depuis 2021. Elle a auparavant couvert l'actualité culturelle genevoise pour EPIC magazine et Radio Vostok et suivi un cursus en Lettres à l'Université de Genève.Plus d'infos

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