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Chronique: Sale coup pour la liberté de débattre

ChroniqueSale coup pour la liberté de débattre

OpinionPierre Ruetschi - Journaliste, directeur exécutif du Club suisse de la presse

Publié aujourd’hui à 07h19

Faisant irruption dans une salle de l’Université de Genève mardi soir, des militants LGBTQ+ ont donc empêché un professeur de l’Université Paris-Diderot de tenir une conférence sur le thème de son récent ouvrage «Le sexe des modernes. Pensée du neutre et théorie du genre». Motif: son livre est jugé transphobe. Ce fut énoncé ainsi, selon la presse: «Ton bouquin, c’est de la merde. On ne l’a pas lu.» Ce jugement aux relents scatologiques ne pose aucun problème, même s’il manque un rien de finesse. Les libertés d’opinion et d’expression sont garanties en démocratie, a fortiori à l’Université. Plus choquant, ce «on ne l’a pas lu» ainsi que le fait d’empêcher d’autres étudiants, qui l’ont peut-être lu, de participer à une discussion sur le genre sans préjugés.

Ce qui véritablement interpelle dans cette action, c’est le refus du débat et donc la négation du droit à la question qui se trouve aux sources mêmes de la connaissance. Douter, un peu au moins, interroger, opposer des arguments, débattre, cela relève d’une nécessité qu’on voulait croire acquise. Est-ce à dire, éternelle interrogation, qu’on peut tout dire? Non, bien évidemment. La loi doit prohiber les excès de discours mais pas au nom de la morale, ni de la bien-pensance, qu’elle soit de gauche ou de droite.

«Il n’est pas simple de tous les faire taire, ces vieux mâles blancs cisgenres.»

De quel droit se permettrait-on d’«annuler» un point de vue et en même temps la personne qui le défend, selon les préceptes d’une «cancel culture» tant critiquée alors qu’elle montait en puissance dès 2014 aux États-Unis, puis adoubée ici avec l’habituel décalage transatlantique qui permet d’anticiper l’évolution des «trends» dans la bonne vieille Europe? Celui qui ne pense pas «juste», donc woke, est conspué, isolé, puis éliminé en usant notamment de la formidable puissance des réseaux sociaux.

Mais il n’est pas simple de tous les faire taire, ces vieux mâles blancs cisgenres, véritables boulets du savoir-vivre et du penser moderne. Deux interventions en trois semaines en mode «casse-toi de là» à l’alma mater ne font que radicaliser un peu plus les deux camps. Lisez les commentaires sur les réseaux sociaux ou sous les articles de presse, les réactions sont aussi violentes, sinon plus, que l’irruption LGBTQ+ qu’ils condamnent. On se traite allègrement et mutuellement de «fasciste» et de «tyran». L’insulte s’est substituée à la critique. Elle est lâche, régressive et souvent anonyme, assénée par des individus masqués dans la vie comme sur le web.

«Choisis ton camp», nous exhorte-t-on. Une fois que c’est fait, toute l’énergie de ces penseurs de l’extrême est mise à anéantir l’autre. Pas un jour ne sera gaspillé à écouter, tenter de comprendre, construire une critique. Le prêt à penser est là pour vous servir, autrement dit, vous empêcher de réfléchir. 

Au milieu, tous ceux, une majorité sans doute, qui regardent, interloqués, passer les missiles de cette nouvelle guerre culturelle. Comment l’apaiser?

D’abord, en accélérant les réformes pour une égalité de fait et de droit, sans nier l’histoire pour autant. Deuxièmement, en fixant des limites claires aux croisés divers de la pensée unique. À défaut de respecter l’autre, ils doivent respecter le droit et être sanctionnés si tel n’est pas le cas. Après de molles mises en garde suite à la première incursion des militants début mai, l’Université de Genève a réparé son erreur en déposant plainte cette fois.

Woke ou non, on ne joue pas avec la liberté d’opinion et l’État de droit. C’est ce qui reste quand les esprits divaguent.

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