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Politique et handicap: «Je rêve d’un conseiller fédéral en fauteuil roulant»

Politique et handicap«Je rêve d’un conseiller fédéral en fauteuil roulant»

Pour l’égalité et l’inclusion, cinq Vaudois ont siégé vendredi sous la Coupole fédérale, lors de la première session des personnes handicapées. 

Les Vaudois Nouh Latoui (à dr.) et Sébastien Kessler (tout à g.) ont siégé ce 24 mars lors de la première session des personnes handicapées, dans la salle du Conseil national.

Les Vaudois Nouh Latoui (à dr.) et Sébastien Kessler (tout à g.) ont siégé ce 24 mars lors de la première session des personnes handicapées, dans la salle du Conseil national.

KEYSTONE/Anthony Anex

Dans le train pour Berne, un SMS: «Je suis disponible à l’Entrecôte Fédérale. Veuillez excuser ma réponse tardive, mais mon stress est monté ces derniers jours. Maintenant que je suis sur place, ça va mieux.» À une heure de la première session des personnes handicapées, le Sainte-Crix Cédric Goedecke est attablé avec son accompagnatrice dans le mythique restaurant bernois. Rien chez lui ne trahit une différence. La voix posée et calme, il explique: «Je me suis présenté pour défendre les handicaps invisibles, comme les personnes avec un trouble du spectre de l’autisme, que je soutiens comme pair praticien en santé mentale. On ne se rend pas compte de l’énergie énorme qu’on doit dépenser pour aller en session. C’est pour ça que j’ai quelqu’un avec moi pour régler tous les détails pratiques.»

De l’autre côté de la place, au Palais fédéral, un vent de combativité souffle entre les sièges des parlementaires et les fauteuils roulants. Quarante-quatre personnes, élues par un vote en ligne de Pro Infirmis, siègent pour faire respecter leurs droits. Alors que 1,8 million de personnes en Suisse sont handicapées, selon l’Office fédéral de la statistique, soit 22% de la population, le pays peine à appliquer la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU (CDPH), qu’il a ratifiée en 2014. Et les personnes en situation de handicap sont sous-représentées politiquement.

Dans la salle des pas perdus, un homme passe, un grand autocollant orange collé sur la chemise: «Unsichtbar Behindert» («handicap invisible»). Au pied d’une banquette, un chien aidant somnole tandis que la plus jeune élue de la session, 18 ans, affiche un grand sourire impressionné en entrant dans la salle du Conseil national. Accessibilité, droit de vote, implication en politique, finances… Tout l’après-midi, les élus débattent sur leurs solutions aux innombrables barrières à leur participation à la vie politique et publique. Ici et là, les mains des interprètes en langue des signes traduisent les défis quotidiens. Pour mieux les comprendre, nous avons rencontré les cinq Vaudois parlementaires d’un jour.

Les élus ont voté sur leurs amendements à une résolution, préparée en amont par une commission formée par Pro Infirmis, concernant huit thèmes différents autour de la participation politique.

Les élus ont voté sur leurs amendements à une résolution, préparée en amont par une commission formée par Pro Infirmis, concernant huit thèmes différents autour de la participation politique.

KEYSTONE/Anthony Anex

Un parcours politique semé d’embûches

Trois des élus en fauteuil roulant expliquent que leur participation à la politique est largement inaccessible: absence de rampe, ascenseur trop petit, manque d’information sur les lieux de réunion. Sébastien Kessler, conseiller communal PS lausannois et conseiller en accessibilité, témoigne: «Le temps consacré à organiser le voyage en train, s’assurer que les lieux soient accessibles, qu’il y ait des toilettes adaptées, etc., c’est du temps qu’on ne consacre pas à la politique. Et parfois je renonce. Je pars aussi en avance du Conseil communal, car j’ai besoin d’aide pour me coucher. Les gens ne s’en rendent pas compte que j’ai plus de six heures d’assistance par jour.»

«Quand mon groupe politique m’a proposée comme présidente du Conseil communal, il y a quinze ans, ça a été une levée de boucliers.»

Verena Kuonen, coprésidente d’Inclusion Handicap, la faîtière suisse des personnes handicapées

La politique, c’est aussi la campagne sur le terrain. Mais lorsqu’on est immobile en chaise roulante, le froid peut-être mordant. Les personnes aveugles, elles, ne peuvent croiser un regard sur les marchés. «Et quand notre accompagnant va parler à quelqu’un, il faut savoir rester seule et attendre», explique Verena Kuonen. L’élue pulliérane et coprésidente d’Inclusion Handicap, la faîtière suisse des personnes handicapées, aimerait bien que les gens n’hésitent plus à l’aborder.

Lorsque Julien-Clément Waeber a pris la parole, c’est une voix de synthèse qui a retenti dans le parlement. Ici, son appareil de communication.

Lorsque Julien-Clément Waeber a pris la parole, c’est une voix de synthèse qui a retenti dans le parlement. Ici, son appareil de communication.

KEYSTONE/Anthony Anex

Elle se rappelle certains verrous: «Il y a quinze ans, j’étais présidente de mon groupe politique. Ils m’ont proposée comme présidente du Conseil communal. Ça a été une levée de boucliers, on m’a dit que je ne pourrais pas surveiller la salle. Alors que j’avais juste besoin de soutien. J’ai renoncé. Plus tard, en me présentant à la Municipalité, on m’a opposé que je coûterais cher.» Quant au socialiste Julien-Clément Waeber, il explique avoir dû, pour entrer au Conseil communal, convaincre le bureau qu’il était à 100% indépendant politiquement. «Ça m’a semblé être une stigmatisation et une atteinte à ma dignité, mais c’était malheureusement la réalité.»

Renverser les obstacles

Si tous les élus sont combatifs et passionnés, le plus jeune, Nouh Latoui, 23 ans et paraplégique, déborde d’enthousiasme: «J’ai envoyé plus de 5000 e-mails pour me faire élire à cette session. Ça va prendre du temps, mais on est là pour se battre pour que nos droits soient respectés. Pour les générations futures et pour tous les types de handicaps.» Cette première expérience lui a donné le goût de la politique: «Je réfléchis à me présenter aux prochaines élections du Conseil communal.»

«Je rêve d’une conseillère fédérale ou d’un conseiller fédéral en fauteuil roulant, reflétant ainsi la diversité de la population suisse.»

Julien-Clément Waeber, conseiller communal lausannois

«Afin de rendre la participation politique des personnes en situation de handicap plus naturelle et augmenter leur nombre parmi les élus, je rêve d’une conseillère fédérale ou d’un conseiller fédéral en fauteuil roulant, reflétant ainsi la diversité de la population suisse», glisse Julien-Clément Waeber. Autres solutions? E-voting pour les personnes malvoyantes et aveugles, simplification du matériel de vote pour celles avec une déficience intellectuelle, consultation systématique des personnes avec un handicap par les commissions, etc.

«Nous inclure, c’est s’ouvrir à des solutions créatives et innovantes, les personnes avec un trouble du spectre autistique ont d’ailleurs beaucoup à apporter pour cela», conclut Cédric Goedecke. Ce 24 mars, après trois heures et demie de débats, huit revendications ont été soumises aux présidents des deux Chambres.

«Il faut développer des outils pour que les personnes avec une déficience intellectuelle participent davantage à la vie publique.»

L’accès au vote, à l’éligibilité et à la vie publique est un droit défini par la Convention relative aux droits des personnes handicapées ratifiée en 2014. Pourtant, seul Genève offre le droit de vote universel. Barbara Fontana-Lana, enseignante et chercheuse à l’Université de Fribourg, a mené cette année une étude – «Mon Vote, Ma voix» – dans les cantons de Vaud, Fribourg, Genève et Neuchâtel. Plus de 300 personnes avec déficience intellectuelle ou leur accompagnant ont répondu.

Peut-on imaginer des élus avec déficience intellectuelle?

Ce terme englobe une panoplie de limitations et de ressources cognitives très différentes. Par exemple, deux personnes avec syndrome de Down (ndlr: trisomie 21) peuvent avoir des compétences cognitives très différentes. Et une déficience intellectuelle ne veut pas dire qu’on est incapable de discernement. Pourtant, on fait ce lien, beaucoup de ces personnes sont encore sous la curatelle la plus forte, celle de portée générale pour cause d’incapacité de discernement. Elles perdent ainsi leurs droits politiques, sauf à Genève.

Il y a plusieurs types de curatelles. Les plus fortes, celles dites de portée générale pour cause d’incapacité durable de discernement, retirent le droit de vote. L’ancien système de tutelle a changé en 2013 et les cantons ont dû les réévaluer. Mais les statistiques constatent qu’elles sont deux à trois fois plus nombreuses dans les cantons romands qu’en Suisse allemande. Donc, soit on les donne plus facilement, soit on a été plus lents à les réévaluer. Et pour les curatelles plus légères, notre étude a constaté, sans savoir l’expliquer, que certaines personnes ne recevaient pas leur matériel de vote.

Avoir le droit de vote est important, mais les conditions sont défavorables. Il faut développer des outils pour les accompagner. Le processus d’apprentissage et la scolarisation jouent un rôle capital. Mais aussi l’accessibilité à l’information, comme des espaces de questions, des vidéos ou de l’information en pictogrammes. L’idée n’est pas de nier la présence d’une déficience intellectuelle. Mais refuser cet accès, c’est comme ne pas proposer de lunettes à un myope et lui dire: «Dommage, tu ne liras pas.»

Les personnes sous curatelles de portée générale avec une déficience intellectuelle peuvent réclamer leur droit de vote avec un certificat médical. Mais peu ont réellement emprunté cette voie, car les démarches sont compliquées et énergivores. Il faut comprendre l’information, savoir que ça existe, avoir les ressources et le courage d’aller devant un juge pour expliquer qu’on a les compétences de voter. Avec le droit de vote universel, la charge de la preuve est inversée. Il faut montrer qu’une personne n’a pas les capacités pour voter.

La science nous montre qu’on n’a pas d’outil valide pour évaluer le «discernement politique». Et éthiquement, qu’est-ce que ça veut dire? On part de l’idée que tout citoyen suisse de 18 ans est capable de comprendre la politique, connaît les sujets, vote de manière consciente et informée. On ne lui fait pas passer de test pour savoir comment cette personne raisonne.

C’est déjà arrivé. En France, une jeune femme avec une trisomie 21 a été élue à la Municipalité en 2020 et fait partie de l’Exécutif. Elle peut avoir des difficultés d’articulation et prend son temps pour s’exprimer, mais elle tient son programme électoral.

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