Pour vivre le deuil, il faut de la fantaisie, solution extraordinaire imaginée par cette grande figure du rock zurichois, qui signe «Greetings to Andromeda. Requiem».
Publié aujourd’hui à 15h23

La Zurichoise Nadja Zela et son band: Martin Fischer (batterie), Michel Lehner (basse, Moog) et Nico Feer (guitares)
NICKLAUS SPÖRRI
Elle est une figure centrale de la scène d’outre-Sarine, une rockeuse de feu dont le public romand découvre doucement l’immense talent. Nadja Zela, héraut de la «brute folk», chanteuse et guitariste au style flamboyant, sort cet automne un album extraordinaire. Un opus magistral, qui lance le rock dans une quête peu commune: son dernier disque est un requiem, une musique née dans le deuil pour accompagner les vivants.
Nous voilà à l’entrée d’un monument. Peut-être arrivera-t-on ici avec en mémoire le dernier opus de Nick Cave, «Ghosteen», écrit suite au décès accidentel de son fils? Pas de problème, le premier ne fera pas de l’ombre au suivant. Nadja Zela, elle, signe «Greetings from Andromeda. Requiem». Un adieu pointant à des années-lumière de la Terre, une catharsis cosmique non dénuée de fantaisie d’ailleurs, ni d’humour. Quand bien même le sujet reste d’une tristesse indescriptible. En 2016, son mari, Christophe Badoux, cartooniste et illustrateur, mourait brutalement à l’âge de 52ans, victime d’une maladie artérielle. En 2020, Nadja Zela, après avoir perdu sa voix, retrouve son chemin artistique et livre un chef-d’œuvre universel avec son band de rockers.
Caniche et peluche
Dans la pop, la mort est un thème récurrent. Mais un disque entier consacré au sujet, cela reste rare. Qui plus est inspiré par la musique sacrée. On ne le verra pas tout de suite, pourtant la messe des morts, son modèle grégorien, constitue la trame de fond de l’album. «Suite au décès de mon mari, la musique ne me disait plus rien, elle me laissait froide, vide.» Sauf, peut-être, les requiem. Pléthore de requiem traçant 500ans d’histoire occidentale. «Sur les conseils de mon frère, hautboïste classique, je me suis mise à faire des recherches: c’est quoi un requiem, qu’est-ce que ça dit. Je ne crois pas au Dieu des catholiques, je ne suis pas religieuse. Mais j’y ai trouvé des mots explicites pour parler de la mort et des morts.»
«Introitus», «Kyrie», «Tractus»… D’une partition d’Hockegehm au XVe aux romantiques du XIXe et au-delà, Nadja Zela établit une «connexion avec le monde moderne». L’Introitus se doit d’être léger, comme si l’on s’avançait dans la lumière. Le Dies irae interroge: ira-t-on en enfer ou au paradis? Enfin, on se calme et on se dit adieu. Pour Nadja Zela, cela donne 18 titres intenses, débutant sur les notes flûtées de l’harmonium, le chant comme un appel, «Hail Andromeda». Ensuite les guitares, la basse, la batterie, «Big Black Holes» s’ouvrant sur les chœurs: une chorale de huit voix masculines. «Archaïques, tristes et si chaleureux! Je suis devenue fan du chant grégorien.» Et l’harmonium, cette pompe rudimentaire, qui rejoint le synthétiseur Moog, «Ghostdog and Moonbird» dépouillé voisinant une «Fanfare» frappant en profondeur des percussions lourdes. Pour terminer dans une légèreté qu’on voudrait paradisiaque, ainsi du délicat «Travel With Starlight» conclusif.
«Il faut de la fantaisie pour se relever. N’est-ce pas drôle de dormir pendant deux ans à côté d’une immense peluche d’ours?!»
«Quand une personne meurt soudainement, le choc initial est presque métaphysique. C’est seulement ensuite qu’on réalise vraiment ce qu’est la mort, et l’on veut mourir à son tour. Puis, un jour, on revient au quotidien, on sort dans la rue, on croise un caniche, un chien-chien pour vieille dame. Il s’avance vers moi, m’apprécie. Première fois que j’ai à nouveau aimé la vie.» L’humour, cela aussi draine l’humeur de ce requiem. «Il faut de la fantaisie pour se relever. N’est-ce pas drôle de dormir pendant deux ans à côté d’une immense peluche d’ours?!»
Du triste à l’absurde
Pas question de religion ici. Nadja Zela cherche ailleurs. Dans le cosmos, du côté d’Andromède. Là où, raconte la musicienne, elle a senti le soir même de sa disparition que son conjoint s’en était allé. Une certitude que Nadja Zela qualifie d’épiphanie, laissant poindre son quota d’ambiguïté à l’endroit d’une éventuelle spiritualité. Elle nuance toutefois: «On m’a fait comprendre combien cette idée était kitsch.» Puis rebondit: «Pourtant, c’était plus que cela.» Nadja Zela d’affirmer, d’une voix solide soulignée d’un sourire qu’on devine empreint de malice autant que de défiance: «Se mettre à boire de l’alcool, se droguer, aller à l’église? On m’a proposé d’aller prier, ça ne m’intéressait pas. Je ne peux pas me contenter d’une réponse simple. Je suis quelqu’un de très réaliste, je veux tout savoir, je suis curieuse. Je veux des réponses. Même si, lorsque quelqu’un meurt, il n’y a pas de réponse…» Sinon ce superbe requiem. Dix-huit chansons «tristes, mais aussi bizarres et absurdes», selon Nadja Zela.
«Greetings from Andromeda. Requiem.» Nadja Zela (Mouthwatering/Irascible)