Une analyse de la jurisprudence sur cet article en vigueur depuis 25 ans démontre que le droit à la liberté d’expression n’autorise pas à proférer des propos racistes.
Publié aujourd’hui à 11h54

Une analyse de la jurisprudence relative à la norme pénale contre le racisme a été réalisée par la juriste Vera Leimgruber, sous le mandat de la Commission fédérale contre le racisme.
Commission fédérale contre le racisme
La norme pénale contre le racisme ne restreint pas la liberté d’expression outre mesure selon une analyse de la jurisprudence sur cet article.
Les opposants à la norme pénale contre la discrimination raciale affirment régulièrement que cette norme réduit la liberté d’expression. L’analyse de la juriste Vera Leimgruber montre que ces dernières années, la jurisprudence a évolué davantage en faveur de ce principe fondamental de la démocratie, a indiqué mardi la Commission fédérale contre le racisme, mandataire de l’étude.
Les conclusions se fondent sur les décisions prononcées entre le 1er janvier 1995, date de l’entrée en vigueur de la norme, et le 31 décembre 2019. L’extension de l’article à l’orientation sexuelle, acceptée par le peuple à 63,1% l’année dernière n’a pas été prise en compte.
Retenue sur les génocides
La justice a accordé plus de poids à la liberté d’expression dans les affaires s’inscrivant dans le contexte du débat politique ou scientifique. Cette tendance se reflète aussi dans la retenue accrue du Tribunal fédéral (TF) dans les causes concernant la négation, la justification ou la minimisation des génocides, selon l’étude.
Ainsi, depuis l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Perinçek concernant la négation du génocide arménien, le TF plaide de plus en plus la liberté d’expression pour d’autres génocides que l’Holocauste. Le traitement différent qu’il réserve à des génocides reconnus par le Conseil fédéral et la majorité de la communauté internationale soulève toutefois des questions.
L’analyse s’attarde aussi sur les actes racistes publiés sur Internet et sur les réseaux sociaux, où le discours de haine a significativement augmenté. Ces supports offrent un espace aux déclarations discriminatoires et de nombreuses possibilités de rester anonyme.
Réseaux sociaux sous la loupe
La plupart des plateformes en ligne et des sites web sont unanimement reconnus comme des espaces publics au sens de la norme antiraciste. Il en va de même pour les groupes privés sur Facebook ou WhatsApp dont les membres n’ont pas de relations personnelles étroites.
La portée de la responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet, la manière de traiter les messages supprimés ou les «j’aime» apposés à certains messages sont autant de points qu’il faut encore clarifier. Les possibilités de poursuivre les contributions rédigées à l’étranger mais accessibles depuis la Suisse doivent elles aussi être envisagées.
Il n’est en outre pas toujours facile de tracer la ligne entre la propagation, punissable, d’une idéologie raciste et l’adhésion, non punissable, à cette même idéologie. Le simple fait de porter un symbole raciste ou de faire un geste raciste n’est pas punissable.
L’article 261 bis du Code pénal, appelé aussi norme pénale contre le racisme, interdit l’incitation à la haine ou à la discrimination, la propagation des idéologies racistes, le rabaissement de quiconque et le refus d’une prestation destinée à l’usage public. Il punit également la négation des génocides ou d’autres crimes contre l’humanité. Depuis le 1er juillet 2020, il s’étend à toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
Deux tiers de condamnations
Quiconque contrevient à l’article est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Pour la période étudiée, 935 cas ont été recensés, dont 63% se sont terminés par une condamnation et 37% par un acquittement, un classement ou une non-entrée en matière.
La grande majorité des cas (plus de 490) se rapportent à la discrimination pour des motifs racistes. Les juifs sont les plus visés (265 cas), suivis par les «étrangers» (217) et les Noirs (188).
Les actes sont commis la plupart du temps dans un lieu public (324) et moins souvent dans les médias, Internet et les réseaux sociaux compris (260). Le canton de Zurich arrive en tête des cantons les plus touchés avec 160 cas, suivi par Argovie (116), Berne (103) et Vaud (100).