C’est intéressant, la parole d’un juge. C’est encore plus intéressant quand le magistrat est à la retraite, sa parole étant d’autant plus libérée qu’il ne s’est pas reconverti dans la politique. Quand son indépendance l’a amené à enquêter sur les financements occultes dans les pouvoirs de droite comme de gauche, à s’intéresser de près aux paradis fiscaux utilisés par de grandes sociétés ou à la corruption dans l’attribution de compétitions sportives. Malgré ceux qui, inévitablement, contestent son bilan.
Bref, après avoir inspiré jusqu’au cinéma, Renaud van Ruymbeke sort un livre, au titre forcément accrocheur: «Mémoires d’un juge trop indépendant». La Suisse, il la connaît bien. D’abord parce qu’il fut l’un des signataires, avec feu le procureur genevois Bernard Bertossa, du fameux appel de Genève dénonçant le manque de volonté politique pour éradiquer sérieusement les paradis fiscaux. En 1996. Et que ses commissions rogatoires avaient souvent pour destinataire des collègues d’ici.
Alors, forcément, quand les médias romands interrogent Renaud van Ruymbeke, on lui demande si, à son avis, notre pays lave encore plus blanc. Ou si la fin du secret bancaire veut dire que, désormais, il fait partie des bons élèves. Oui et non, répond poliment le Monsieur, la Suisse coopère «de mieux en mieux» pour lutter contre l’argent sale, notamment via des relations judiciaires «très étroites» entre Lausanne et Genève, un «modèle de coopération internationale»; ajoutant au micro de David Berger sur la RTS: «Bien souvent, elle (ndlr: la Suisse) n’est pas jugée sûre par ceux qui se cachent, qui fraudent. L’argent a tendance à partir à Singapour, place jugée plus sûre, ou à Dubaï.»
Ce qu’on savait moins, c’est que l’ancien juge français affine l’analyse jusqu’au Röstigraben. Et qu’il dit que désormais c’est plutôt du côté de Zurich ou encore Zoug, patrie du lave-linge made in Switzerland, «où c’est beaucoup plus fermé», où «l’on sent qu’il y a un pouvoir financier qui est fort». Bon, les récentes enquêtes de cellules internationales d’investigation, dont Tamedia fait partie, ne disent pas autre chose. Celui qui le sait aussi, c’est Philipp Hildebrand, qui a également grandi près d’un lac de Suisse centrale et fréquenté de si près le délit d’initié qu’il a dû démissionner de la présidence de la BNS. C’est dire si sa candidature à la tête de l’OCDE, qui n’a officiellement sorti notre pays de la liste grise des paradis fiscaux que fin 2019, a le parfum d’un exotisme offshore.
«Renaud van Ruymbeke constate un Röstigraben en matière de coopération judiciaire.»
OpinionClaude Ansermoz
Publié aujourd’hui à 08h20