Opinion
Publié aujourd’hui à 20h19À la manière de ces équipes de scientifiques qui tentent de percer les mutations du virus pour mieux le combattre, on peut s’essayer à comprendre les effets d’un arrêt soudain, inédit, du fonctionnement de nos économies. Totalement inédit, car jamais dans l’histoire, même celle des deux conflits mondiaux, les activités en tout genre n’ont été à ce point livrées au hasard des pérégrinations mutagènes d’un microbe.
Voyez plutôt. Des entreprises que l’on tenait pour aussi solides que le roc ont vu leur chiffre d’affaires réduit des neuf dixièmes. D’autres, à peine naissantes, se sont d’un seul coup trouvées propulsées au firmament de la Bourse. Des pays réputés pour leur attachement à l’austérité, telle l’Allemagne fédérale de presque tous les gouvernements qui s’y sont succédé, ont d’un seul coup basculé dans des dérives budgétaires dont on n’aurait jamais imaginé qu’ils puissent s’en accommoder.
Ces déficits publics monstrueux, acceptés pour la bonne cause, n’ont en principe pas vocation à s’éterniser, comme l’écrit le FMI dans une note sur les mesures budgétaires à prendre en la circonstance: «Face à la sévérité du choc, il est probable que l’on assistera temporairement à une détérioration massive du déficit budgétaire et de la dette publique». C’est peu dire. Exprimées en pourcentage du produit intérieur brut, ces impasses ont fait exploser toutes les freins, constitutionnels ou réglementaires, à l’endettement. Même chez nous, les dépassements sont historiques. Les quelque 20 milliards de déficit prévus pour 2020 pour la seule Confédération sont deux fois plus élevés que le trou de 2010 consécutif à la crise financière. Quant à ceux des cantons, Genève en particulier, n’en parlons pas. Ou plutôt ils parlent d’eux-mêmes, tant la paralysie de bon nombre d’activités a réduit à néant les entrées fiscales en provenance d’elles, et fait s’envoler les soutiens accordés.
L’infection ne fléchissant pas malgré les restrictions introduites à hue et à dia, des voix plus ou moins autorisées s’élèvent pour dénoncer qui les retards de vaccination, qui les inégalités de traitement entre catégories d’âge ou secteurs d’activité. Chez nos grands voisins, la critique aussi est acerbe, et se sert de sujets connexes qui n’ont pourtant rien à voir avec la pandémie. En Allemagne par exemple, le très médiatisé Hans-Werner Sinn attribue aux dysfonctionnements structurels de l’euro-zone – son sujet favori – ce qu’il appelle «la débâcle de la vaccination en Europe».
Sur quoi s’appuyer quand on n’a jamais rien vécu de tel?
De tels reproches sont largement infondés. C’est le caractère totalement nouveau de la crise sanitaire, et non quelque incurie, qui explique le désarroi des gouvernants. Sur quoi s’appuyer quand on n’a jamais rien vécu de tel? Quand on ne sait pas où l’on va, ni où ni quand cela s’arrêtera?
Reste, néanmoins, que les débordements budgétaires partout consentis posent la question des conditions de la rentrée dans l’ordre, qui finira bien par s’imposer. Si, comme il y a beaucoup de raisons de le penser, la reprise économique, après un premier sursaut, se fera par la suite au petit trot plutôt qu’au galop, on voit mal que les finances publiques puissent se redresser avant une éternité, d’autant que la probabilité d’un retour de l’inflation, souvent considéré comme le moyen le plus simple, sinon le plus honorable, d’éteindre la dette publique, paraît bien mince. D’où l’idée, pourquoi pas, de convertir cette dernière en une dette perpétuelle ou, encore plus osé, d’en revenir aux loteries royales qui exploitèrent jadis un goût du jeu qui, sous d’autres formes, semble avoir ressurgi aujourd’hui aux quatre coins de la société…